Le soldat Joseph Joliat (1883-1918)

Je m'appelle Joseph Joliat.

Je suis né à MORVILLARS dans le TERRITOIRE de BELFORT le 26 JUILLET 1883.

Je suis appelé pour combattre pendant la Première Guerre mondiale en tant que soldat au 171ème régiment d'infanterie.

Je suis décoré de la médaille militaire et de la croix de guerre.

Je meurs des suites de mes blessures trop graves, le 4 avril 1918 dans l'OISE.

Mon corps est rapatrié au cimetière de MORVILLARS, le 19 juin 1921, à la demande de ma famille.

Rédigé par Manon Hegelen (CM1)

Le retour des morts (journal l’Alsace 23 juin 1921)

Lundi dernier ont eu lieu les obsèques du soldat Joseph Joliat du 171e R.I. tombé glorieusement au bois de Mongival dans la Somme, pendant les terribles journées de mars 1918.

Le corps de Joliat avait été déposé à la mairie où avait été installée une chapelle tendue de tentures et de drapeaux tricolores et ornée de fleurs et de plantes vertes. Sur le cercueil avaient été déposées de nombreuses couronnes et gerbes nouées de rubans aux couleurs nationales.

Par un touchant sentiment de belle fraternité d’armes, les Anciens Combattants et Mutilés de Grandvillars, accompagnés de la musique de cette commune, avaient tenu à se mêler à leurs Camarades de Morvillars pour rendre les derniers honneurs à leur compagnon de bataille, mort en héros.

A 18 heures, M. l’abbé Arnoux, curé de Morvillars, procède à la levée du corps. Les Combattants de la commune, à la tête desquels se trouvaient Madame Louis Viellard, leur vice-présidente d’honneur et MM Louis Viellard, président, de Fontaines et Lachat, vice-présidents, formaient la haie devant laquelle défila le glorieux défunt.

Après un service à l’église, le cortège se rendit au cimetière dans l’ordre suivant : les enfants des écoles, les Combattants de Grandvillars avec leur drapeau, les Combattants de Morvillars également avec drapeau, la musique de Grandvillars, qui, sous l’habile direction de son chef M. Fauconnet fit entendre à l’église et pendant tout le parcours, de douloureuses marches funèbres et les porteurs de couronnes offertes par la municipalité, les Combattants et de nombreux amis.

Sur le cercueil recouvert du Drapeau tricolore, avaient été déposés la tunique et le casque de combat de Joliat. Derrière, suivait une délégation de mutilés entourant un des leur portant sur un coussin la médaille militaire, la croix de guerre et la fourragère vert et jaune du brave soldat, puis la famille, le conseil municipal, M Jean Maître conseiller général, Albert Viellard maire de Grandvillars.

Au cimetière, après la bénédiction, plusieurs discours furent prononcés par M Georges Weiss secrétaire de l’A.A.C.M., le capitaine Jacquot commandant la 6ème compagnie du 171ème R.I. à laquelle appartenait Joseph Joliat et par M. Louis Viellard maire de Morvillars et président de l’A.A.C.M.

Voici le discours de M. Georges Weiss

Mesdames, Messieurs,

Avant que ce cercueil ne disparaisse à nos regards attristés, je viens au nom de l’Association des anciens combattants de Morvillars, adresser à notre camarade Joseph Joliat, mort pour la France, l’adieu suprême.

Joseph Joliat quitta Morvillars en cette nuit tragique du 31 juillet 1914 alors que la France appelait en toute hâte ses enfants afin de pouvoir conjurer dans la mesure du possible, le danger imminent qu’elle sentait planer sur elle. Lorsque la guerre nous fut déclarée par un peuple ivre d’orgueil et assoiffé de conquêtes, Joseph Joliat prit part de 1914 à 1918, avec le 172ème d’infanterie, puis avec le 171ème à tous les grands combats dont l’histoire a immortalisé les noms ; noms sublimes qui renferment en eux le patrimoine d’honneur et de gloire de l’Armée ; noms douloureux aussi dont l’énumération appelle l’évocation de tous les deuils cruels des familles françaises.

Le courageux soldat dont nous honorons en ce jour les restes sacrés, participa à la conquête d’une partie de l’Alsace, il prit part dans la Meuse, en Champagne, dans la Somme et dans les Vosges à ces grandes offensives au cours desquelles on cherchait à faire reculer l’ennemi héréditaire. Il lutta pour la défense de Verdun la ville héroïque devant laquelle la ténacité française eut raison des hordes germaniques ; il connut également les fatigues et les privations endurées dans ces tranchées, étroites et boueuses, véritables foyers d’épidémie où le fantassin, en butte à toutes les intempéries, devait, dans une inaction momentanée mais combien pesante, subir le feu violent de l’adversaire, puis briser ensuite ses attaques furieuses.

Après avoir vaillamment combattu pendant près de 4 ans, Joseph Joliat tomba glorieusement dans la Somme en avril 1918. La citation suivante, qui restera comme le témoignage de sa bravoure, lui fut décernée : « Agent de liaison remarquable, guetteur au P.C. du commandant de compagnie, n’a cessé d’observer les signaux de la ligne, en dépit des plus violents bombardements, a été grièvement blessé à son poste ».

Cher ami, durant de longs mois tu combattis avec un courage toujours renouvelé, c’est pour ta famille un motif de légitime fierté. Tu n’auras pas eu ici-bas le bonheur de voir la victoire couronner les efforts des armées alliées, mais d’un autre monde, tu peux en contempler le double résultat : nos trois couleurs flottent sur le Rhin et nos soldats foulent le sol allemand pour forcer un peuple sans scrupules à remplir les obligations contractées par un traité dont l’acceptation est l’aveu même de la défaite.

Depuis trois ans tu reposais sur cette terre de la Somme que tu as arrosée de ton sang ; aujourd’hui tu vas dormir ton dernier sommeil dans le cimetière militaire de Morvillars à côté des compatriotes qui, comme toi, ont donné leur vie pour la défense du pays, abrité par l’emblème de la Patrie pour laquelle tu as lutté, souffert et succombé héroïquement et qui couvrira désormais de son ombre protectrice ta dépouille vénérée.

Dors en paix, cher ami, à quelques pas de la tombe familiale où reposent ton père, ainsi que ta mère qui, elle, connut de son vivant la douleur de te perdre ; dors en paix à l’abri de l’église, dans laquelle, aux jours heureux des permissions tu vins fréquemment t’agenouiller pour demander au Dieu des Armées la force d’accomplir sans défaillance la grande tâche qui était dévolue au soldat de France ; dors en paix, non loin de ce village où tu passas ta vie où tu fus aimé et estimé de tous les habitants qui, en grand nombre, entourent en ce moment ton cercueil pour déposer au bord de ta tombe l’hommage de la reconnaissance et du souvenir ; dors en paix jusqu’au jour où nous te retrouverons dans un monde meilleur où, aux douleurs amères et aux peines cruelles succèdera une éternelle félicité.

Ami Joseph Joliat, adieu !

A ton frère et à son épouse éplorés, les anciens combattants de Morvillars présentent leurs condoléances sincères et les prient d’agréer l’expression de leur bien vive sympathie.

Après M. Weiss, le capitaine Jacquot, d’une voix vibrante mais tremblante d’émotion, raconta les derniers moments de son vaillant soldat et fidèle ami. En voici les principaux passages : « Joseph Joliat faisait partie de cette intrépide phalange que le Territoire de Belfort avait donné aux troupes de couverture. Homme de devoir, cœur vaillant, il était bien de cette race de l’Est qui ne connaît pas l’accablement et que le culte du souvenir, silencieusement, mais jalousement entretenu, prépare à tous les héroïsmes et à toutes les abnégations.

Pour son village et pour la France qu’il affectionnait également de toute son âme, il avait à l’avance, généreusement, sacrifié sa vie.

Je le connaissais depuis 1916 et j’avais pu en maintes circonstances, apprécier son tranquille courage et son dévouement absolu. Je découvris rapidement en lui un sujet d’élite et le choisis comme ordonnance. Comment évoquer sans serrement au cœur les innombrables services qu’il sut me rendre en cette qualité et l’admirable désintéressement dont il ne se départit jamais ? Bon, loyal, discret, silencieux, toujours prêt de jour comme de nuit, inlassablement heureux de se rendre utile, superbement énergique, jamais, même dans les minutes les plus critiques, il n’eut un cri de désespoir ni une parole amère.

Il savait souffrir sans se plaindre, et, quand la grande faucheuse nous frôlait de ses ailes, il conservait sa bonne gaité et sa belle insouciance.

Ce n’est pas sans une profonde émotion que je rappelle ici ces terribles journées de mars 1918 où la bête allemande, en une folle et dernière ruée, essaya de nous submerger. Nous occupions depuis 4 jours la lisière du bois de Mongival et sans arrêt nous vivions sous un ouragan de fer et de feu.

Les chers soldats, les larmes aux yeux, mais la foi au cœur, n’avaient pas lâché un pouce de terrain, je me souviendrai toujours d’avoir eu l’honneur de commander à de tels hommes. Joliat qui ne me quittait jamais, toujours prêt à se dévouer jusqu’au bout, attendait à mes côtés l’imminente attaque ennemie.

Soudain, dans un épouvantable fracas, une immense flamme qui nous aveugle, et celui que nous pleurons aujourd’hui tombait à mes pieds, sans un cri, sans une plainte. Je verrai longtemps son fier regard qui disait la volonté et la satisfaction du devoir accompli et je sens encore, comme si c’était hier, sa main dans la mienne, cette étreinte dernière de deux camarades de combat qui se souhaitent bonne chance comme s’ils ne devaient plus se revoir. Je réussis, au prix de quelques difficultés à le faire transporter à l’arrière, mais, hélas ! J’apprenais le lendemain qu’il avait cessé de vivre.

Je perdais un ami et la France comptait un héros de plus. « Soldat Joliat, la compagnie de Mongival vous présente les armes et, par ma voix, vous adresse un suprême adieu ».

Enfin, M. Louis Viellard termine la série des discours par une touchante allocution dans laquelle il exalte l’héroïsme sauveur, l’effort patient et l’esprit de sacrifice des Enfants de la Commune qui ont donné sans compter leur sang pour que la France vive.

Il salue très bas ce soldat qui revient parmi les siens dormir le dernier sommeil et il termine : « … Aux heures difficiles, Morvillars ne se souviendra pas sans réconfort de l’honneur que lui firent ses enfants sur l’immense champ de bataille où se joua l’avenir de la civilisation et où la victoire se rangea sous les drapeaux justiciers de la France et de ses Alliés ».

Et glorifiant la mort des héros, il rappelle ces vers du poète

: « … il est mort cependant,

Sans haine, sans que son front portât

Ni le regret, ni le mépris de sa souffrance,

Mort seulement

Pour que sa terre demeurât Terre de France.

Tous ces discours émurent profondément toute l’assistance qui se retira silencieuse après avoir envoyé au glorieux mort une dernière pensée pour son sacrifice sublime.

Journal l’Alsace 23 juin 1921

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